J’ai des cheveux courts, comme beaucoup de gens
J’ai des cheveux courts, comme beaucoup de gens sur Terre.
Je n’aime pas porter de décolletés, comme beaucoup de gens sur Terre.
Je ne porte pas de talons, comme beaucoup de gens sur Terre.
J’aime les filles, comme beaucoup de gens sur Terre.
Des quatre saisons, j’aime particulièrement l’hiver, comme beaucoup de gens sur Terre.
J’aime marcher la nuit dans la ville, comme beaucoup de gens sur Terre.
J’ai peur d’aimer les autres, comme beaucoup de gens sur Terre.
J’ai des rêves, comme beaucoup de gens sur Terre.
Mais surtout, j’ai une tête, deux bras, deux jambes, un corps, comme beaucoup de gens sur Terre,
Et malgré toutes ces similitudes, je reste différente,
Et ça, ça suffit pour être seule.
Sooooo What's up freaks ? En ce moment au menu c'est reflexion intense. Ouais des fois j’imagine ma vie telle qu’elle aurait dû ou pu être si j’avais été normale.
J’entends par là si j’avais été une fille, peut être un peu garçon manqué, mais qui aime se maquiller, mettre des robes occasionnellement. Une fille qui aime passer des heures dans les magasins, poussant le souci du détail à l'extremisme pourquoi pas, jusqu’à accorder la couleur de son vernis à son soutien-gorge. Une fille qui sache se mettre en valeur, de sorte que tout le monde tombe sous son charme. Une fille drôle et intelligente, avec un certain charisme mais sans rien de hautain. J’aurais aimé être complice avec ma mère, pouvoir l’aimer correctement. J’aurais aimé pouvoir comprendre mes sœurs, et même avoir un avis qui compte, être un modèle pour ma petite sœur. J’aurais aimé que mon frère n’ait pas honte de moi, que personne n’ai honte de moi.
Mais j’aurais aussi pu être normale si j’avais été complètement un garçon. Dans ce cas, j’aurais pu porter des vêtements de mon choix, sans être regardée de travers. Les reproches quand à mon style vestimentaire se seraient transformés en louanges, et ma façon de me coiffer aurait été jugée très soignée. Le fait que je dessine aurait été pris comme une qualité rare chez un garçon et mon goût pour le sport aurait été plus écouté. On aurait admiré que je sache jouer du piano et de la guitare ainsi que d’aimer autant la littérature. En bref, tout ce qui chez moi en tant que fille est raillé, serait alors félicité.
Mais devrais-je pour autant me considérer comme transsexuelle ? Ais-je réellement envie de changer totalement de corps ? Je n’aime certes pas ma poitrine, mais supporterais-je un pénis ? Est-ce qu’à 18ans, quand on habite encore avec ses parents, qu’on vient seulement de rentrer à la fac, qu’on n’est jamais sorti avec personne, qu’on ne connaît rien de la vie, est-ce qu’on est en mesure de faire ce genre de choix ?
Au fond, je demande juste à être normale dans ma différence. Normalisez ma différence. Faites que vos regards ne s’étonnent plus sur une vérité que vivent sur Terre tant de gens. On peut partager tellement de choses, se trouver tellement de points communs en faisant juste abstraction de l’apparence. Ce n’est qu’une enveloppe.
Souvent je me dispute avec ma mère. Pas avec mon père, parce qu’il ne parle pas mon père. Il juge, mais il ne communique pas. Dans le film de Xavier Dolan « j’ai tué ma mère », le conflit mère fils est violent, explosif, brutal, passionnel. Moi je n’explose pas, pourtant chacune des révoltes qui ont animées Hubert, je les comprenais, je les ressentais. J’avais envie d’hurler, de m’enfuir, de revendiquer, tout comme lui le faisait. Mais la différence c’est que lui vit seulement avec sa mère. L’affrontement se fait d’égal à égal. Moi, je ne peux pas m’attaquer à cette entité que sont mes parents, comment pourrais-je ? Ce n’est pas ma parole contre la leur, c’est ma parole contre la Vérité. A deux ils ne laissent aucune place au doute et m’écrasent de leur assurance. Je ne peux qu’avoir tort, j’ai perdu avant d’avoir même ouvert la bouche. Mais un jour, je le sais, je le sens, je trouverais cette force. Et ma rage, toute cette colère noire concentrée en moi explosera et je serai libre enfin.
J’imagine que ce ne sera pas simple. J’essayerai d’oublier les gens que j’aime, mais qui eux ne m’aiment pas assez pour comprendre ou juste tolérer ce que je suis. J’imagine ma mère. Je l’imagine me dire que c’est fini, qu’elle aura fait tout ce qu’elle avait pu mais que je savais à quoi m’attendre. J’imagine la solitude. J’imagine la douleur.
Et le mensonge. Toujours et encore le mensonge. Parce que je me connais et je sais que je serais incapable d’avouer ma différence. Je voudrais tellement être normale que si je pouvais en avoir l’apparence je ferais tout pour ne pas qu’on sache que c’est faux…
Des fois je me dis que ce serait tout de même plus simple de se soustraire à cette vie. Je ne serais jamais heureuse, alors à quoi bon lutter ? Je ne tire pas cette question de ma crise d’adolescence, ne vous méprenez pas ! Depuis que j’ai compris du haut de mes 7ans, sans toutefois pouvoir me l’exprimer clairement, que quelque chose clochais dans mon être, je nourris cet instinct de mort. J’aime les gens, mais j’en ais terriblement peur. Je les admire, je les imite. J’aime leurs rires, leurs larmes, leurs joies et leurs peines. Je suis en extase devant leur énergie, leur volonté et leur persévérance. Cette opiniâtreté, cette rage de vivre, les idéologies brisées, les rêves fanés… je critique, souvent je suis cynique et amère : je suis jalouse de ne pas pouvoir ressentir toutes ces choses. Je ne sais pas me battre pour ce que je suis, pour ceux que j’aime. Je suis inutile. Et pire encore que cette conscience d’être inutile, j’ai ce sentiment permanent d’être un boulet pour ceux que j’aime.
En fait, faudrait réussir à créer un monde moins conservateur, plus ouvert. A l'image de la multiplicité des gens qui le peuple, plutôt qu'à celle des gens qui ne tendent qu'à uniformiser notre diversité.